EXTERMINEZ TOUTES CES BRUTES / LECTURES ANTIRACISTES ET ANTICOLONIALES 4

Exterminez toutes ces brutes

Essai

Sven Lindqvist

Le Serpent à Plumes 1992

Ouvrage hautement original, troublant, Exterminez toutes ces brutes est un essai sur les origines du génocide (dans sa plus vaste acception). doublé d'un récit de voyage. Il s'agit ici de parcourir une sorte de géographie culturelle « occultée» - et terrifiante.

En 169 courts chapitres, sur le mode des Pensées de Pascal, Sven Lindqvist retrace la généalogie d'une idée, d'une théorie, et d'une pratique résumée par le titre, "Exterminate all the brutes", phrase prononcée par Kurtz dans le roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres. D'où viennent ces paroles?Pourquoi Conrad les prête-t-il au sinistre Kurtz ?Quelle réalité recouvrent-elles? C'est ce que Sven Lindqvist entreprend de découvrir.

Au fur et à mesure que l'auteur pénètre plus profondément à l'intérieur du continent africain, il s'enfonce dans un autre « cœur des ténèbres» : l'abondante littérature européenne du XIX siècle justifiant l'anéantissement de peuples entiers au nom du « progrès» et de la « civilisation». Les faits que rapporte Lindqvist sont révoltants, mais ce qui l'est encore plus, c'est la manière dont ces faits ont été légitimés, voire glorifiés, dans la presse européenne de l'époque - avec toute la rhétorique, la théorisation qui ont entouré le phénomène de déclin et de disparition des races et des sociétés dites" inférieures" .

Car l'Holocauste, dit Lindqvist, n'est pas une erreur unique dans l'Histoire.

L'Holocauste est né du rapprochement d'un antisémitisme séculier en Europe et d'un racisme plus général, et pour ainsi dire institutionnalisé, qui a accompagné la politique coloniale des puissances européennes dans le Tiers Monde, notamment en Afrique.

Sven Lindqvist est né en Suède à Stockholm en 1932. Il a voyagé sur tous les continents et vit à Stockholm. Il est l'auteur de plusieurs romans et récits de voyage.

(quatrième de couverture)

Dès la première ligne de son livre, l'auteur nous avertit: « Vous en savez déjà suffisamment. Moi aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut. Ce qui nous manque , c'est le courage de comprendre ce que nous savons et d'en tirer les conséquences. »

Sans jouer le donneur de leçon, Lindqvist nous amène avec lui dans un périple peuplé de fantômes. Ceux-ci nous sont familiers. Nous les avons croisés dans des romans, dans des livres d'histoire, dans des expressions tellement « communes », dans des conversations dites « de bistro ». L'auteur nous fait découvrir que ces fantômes ne sont pas issu d'esprits délirants mais d'intellectuels reconnus souvent au pouvoir dans notre monde occidental. Ils ont été postés pour justifier l'injustifiable, les crimes les plus atroces, la barbarie sans nom.

Ce livre renvoie un étrange échos des diverses campagnes sur « les bienfaits de la colonisation ». Après l'avoir lu, les choses prennent une dimension nouvelle et se relient: des maires qui font construire des stèles à la gloire des assassins de l'OAS, des négationistes divers aux députés qui ont déposé des lois pour faire reconnaître l'apport essentiel de notre monde aux pauvres sauvages, en passant par les médias qui sèment le doute à coup de camouflage, d'oublis organisés.

La construction est imparable.

Et quand Lindqvist termine en nous rappelant le début de son livre: « Vous le savez déjà . Moi aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut. Ce qui nous manque , c'est le courage de comprendre ce que nous savons et d'en tirer les conséquences. », il nous rappelle qu'en tant qu'êtres humains, nous avons des responsabilités et qu'il ne tient qu'à nous de rejeter les fantômes et d'offrir un autre avenir à l'humanité.

François Got