EN ATTENDANT UN NOUVEAU COUP DE PROJECTEUR SUR NOTRE VILLE

Publié par mraplunellois

Une invite à réfléchir, s’exprimer, échanger.

 

Comme vous le savez, Lunel va une nouvelle fois se retrouver sous les feux de l’actualité, suite aux évènements liés au djihadisme de 2014.

L’annonce du prochain livre-enquête ne fait pas dans la dentelle. «.. Pendant des mois, les auteurs ont arpenté cette terre devenue le symbole d’un échec national… » « ..Ce n’est pas l’histoire d’une ville mais celle d’une faillite française…» Du lourd donc. Nous serions le modèle du « chaudron français » dans lequel se concocte une drôle de cuisine.

On peut d’emblée trouver la charge un peu excessive, se méfier d’une recherche de buzz médiatique ou d’exploitation politicienne, mais inutile de se voiler la face : Lunel a connu et continue de connaitre des problèmes au niveau du vivre ensemble. Pas question de refuser cet intérêt qu’on nous porte, dans la mesure où il rejoint le nôtre, avec la finalité de comprendre et d’améliorer.

En attendant donc de lire l’ouvrage, et sans vouloir reprendre tous les articles qui ont été consacrées à notre cité - il y en a trop et dans toutes les langues, - il peut être intéressant de relire un livre récent à l’intérieur duquel un chapitre est déjà consacré à Lunel.

Cela nous permettra également d’engager le débat avec nos réflexions propres et nos expériences de résidents permanents. D’accord pour profiter des réflexions des autres, mais à condition d’avoir aussi notre mot à dire.

Réfléchir sur ce sujet « Comment en est-on arrivé là ? » n’a pas seulement pour objectif d’éviter que ce genre de dérives se reproduisent, mais d’éviter aussi d’autres dérives qu’elles occasionnent, savoir le développement des idées et du vote Front National, le repli sur soi, la peur de l’autre, la division communautaire, buts d’ailleurs clairement recherchés par ceux qui manipulent les terroristes.

« TERREUR DANS L’HEXAGONE » de Gilles KEPEL

 

Le livre récent en question est « Terreur dans l’hexagone » du sociologue Gilles Kepel (Gallimard 2015).

Il a déjà été lu, et souvent localement critiqué, mais rappeler les analyses, les arguments et conclusions qu‘il développe pour les contrer ou les compléter me semble plus intéressant que de se contenter du « Il y en marre, il faut faire plus ! »  que l’on voit fleurir sur les réseaux sociaux après chaque évènement menaçant, un « faire plus » qui se réduit rapidement aux solutions les plus simplistes, irréalistes, inefficaces.

Constatons d’abord que cet ouvrage ne fait pas non plus dans la dentelle. Le chapitre nous concernant s’intitule «  Le paradigme lunellois ». Nous faisons donc, d’après Kepel, figure de modèle sur la question : « Le cas de Lunel s’avère exemplaire des motifs et processus grâce auxquels le djihadisme attire des jeunes Français de diverses origines ». « L’élucidation du paradoxe de cette dernière (la ville de Lunel) offre un matériau exceptionnel pour comprendre la genèse du djihad français contemporain » Rien de moins. On comprend qu’ils viennent nombreux pour enquêter…

Quels sont donc, d’après Kepel, ces « motifs et processus grâce auxquels… »

On sait qu’ils sont foison, et que vouloir en isoler un, et le rendre seul responsable, est une aberration. Parmi tous ceux qu’il cite, je voudrais noter deux axes auxquels il semble donner une plus grande importance, l’un lié à la population musulmane, l’autre au vivre ensemble.

Pour ce qui est du premier axe, Kepel suggère qu’une partie de cette population n’a pas pris la mesure de l’évolution négative possible, troublée par une vision victimaire de l’islamophobie, terme qu’il met d’ailleurs entre parenthèses comme s’il ne le reconnaissait pas.

Cela donne cette analyse : « Ce terme (l’islamophobie) a pour rôle de prohiber toute réflexion critique sur l’islam au non de la victimisation proclamée par ceux qui s’en réclament et de disculper toute entreprise menée en son nom – facilitant ainsi le transit du Tabligh (le mouvement qui selon son enquête était largement développé autour de la mosquée de Lunel) à l’humanitaire islamique et au djihad armé, selon le processus qui s’est manifesté exemplairement à Lunel »

S’il est vrai qu’à cette époque, les déclarations de certains « représentants » musulmans locaux ont été pour le moins confuses, réduire l’islamophobie, qui est un racisme pur et simple, à cette lecture victimaire est excessif. C’est le point de vue que nous avons toujours défendu au Mrap Lunellois.

Pour ce qui est du deuxième axe, le vivre ensemble, il appuie plusieurs fois sur la fragilité de celui-ci. « L’absence de réseau associatif ou culturel permettant la rencontre et la socialisation entre les diverses populations qui cohabitent à Lunel est pointée par nombre d’acteurs locaux..»

Il parle d’une « forte polarisation des deux « communautés » » D’une « frontière physique et mentale entre les deux Lunel »  Il utilise les termes de « quartier musulman » et de «ville nouvelle », un vocabulaire à mon sens inadapté et trompeur dans sa référence à la période coloniale. Il évoque une ville «  tiraillée entre des identités culturelles exacerbées.. »

il conclut d’ailleurs là-dessus, en faisant en outre de cette exaspération des identités, le catalyseur de l’ensemble :

« Dans un contexte global qui a fourni les ingrédients à cette situation explosive, le

catalyseur a été apporté par les conditions locales particulières, où l’exaspération des identités culturelles opposées a permis en réaction des attitudes de rupture évoluant finalement vers le djihad armé »

A cette analyse proposée par Kepel , on pourrait ajouter une illustration d’actualité, relevée dans un billet publié dans la page locale du Midi-libre suite à la désormais traditionnelle soirée guinguette de l’été : « ..Pourtant à bien y regarder, bien au-delà de l’impression de foule, ce curieux sentiment d’absence… Jusqu’à ce qu’un touriste, spontané, lève le voile sur cette étrange sensation : « Mais il n’y a que des Blancs, non ? » C’était donc ça ! La mixité… »

Quel est le poids de ces « causes » ? Sommes-nous d’accord avec leur importance relevée par Kepel ? D’autres nous semblent-elles plus déterminantes ? Surtout, quelle est l’influence de chacune aujourd’hui encore et que faire pour remédier à une situation insatisfaisante ?

Pour ma part, je pense qu’en ce qui concerne le premier axe, l’analyse n’est plus d’actualité, déjà du fait de la nature des attentats qui ont suivi l’enquête de Kepel et de leur impact. (il écrit en 2015 entre Charlie Hebdo et le Bataclan, avant Nice)

Pour ce qui est du deuxième axe, et malgré les efforts de plusieurs associations, dont la nôtre, le tableau reste à mon sens semblable. Sans un volontarisme assumé, on n’avancera pas.

Mais ce texte n’est jamais qu’une invite à réfléchir, s’exprimer, échanger avant d’essayer d’agir. C’est notre responsabilité citoyenne.

Jacques Vénuleth

Publié dans DEBAT

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