IDENTITES, LA BOMBE A RETARDEMENT

Publié le par mraplunellois

IDENTITES, LA BOMBE A RETARDEMENT

 

PAR JEAN-CLAUDE KAUFMANN   chez TEXTUEL (2014)identites-livre.jpg

 

 

L’identité est le sujet à la mode, et l’on sait très bien que c’est par lui que le scandale de la remontée en puissance tranquille du racisme dans notre société est arrivé, particulièrement après que Sarkozy ait ouvert la boîte à Pandore de l’identité dite nationale.

Mais jusqu’à présent, face aux pleurnicheries de Finkielkraut, on n’avait pas grand chose à se mettre sous la dent, sauf d’une manière parcellaire.

Là, il s’agit à mon sens, de la première analyse en profondeur du phénomène, d’une manière claire et accessible au grand public par sa profondeur, sa longueur (même pas 100 pages), son prix (8 euros).

 

 

images-kaufmann.jpgUne définition d’abord de l’identité en opposition à trois erreurs généralement commises à son sujet :                    

 

Première erreur : renvoyer l’identité à la mémoire, au passé, aux racines en en faisant du coup quelque chose d’automatique et d'obligatoire.

Deuxième erreur : confondre l’identité subjective avec l’identité administrative ; ce que nous sommes ne se réduit pas à ce qui est marqué sur nos « papiers d’identité ».carte-identite.jpg

Troisième erreur : penser que l’identité est fixe et immuable, alors  qu’elle est changeante au cours de notre vie, résultat de nos choix du moment dans le cadre d’actions précises.

 

Pour résumer : « L’identité (individuelle ou nationale) n’est jamais dans les origines, les racines, la mémoire, elle est une production de sens dans le moment présent. »

 

L’identité est aujourd’hui un choix personnel.  Aujourd’hui, car cela n’a pas toujours été le cas. Le problème identitaire est un problème de notre société moderne, une société qui a libéré l’individu de la contrainte collective, de l’identité collective obligatoire ; en lui laissant une liberté qui peut vite devenir pesante, angoissante.

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Tellement difficile à assumer que certains, les plus fragiles économiquement, socialement ou culturellement, les moins sûrs d’eux, préféreront se réfugier dans des identités offertes, faciles, totalitaires, des fondamentalismes religieux ou laïques.

 

A partir de là dans les deux chapitres suivants, plutôt que de s’étendre sur la dangerosité évidente des fanatismes religieux, l’auteur veut nous faire prendre conscience du piège qui nous attend tous, dans le cadre d’une crise économique et civilisationnelle, qui ne peut que s’aggraver.

« Le danger qui guette est celui du fondamentalisme et de l’intégrisme identitaires (Le fondamentalisme et l’intégrisme religieux n’en sont qu’une variante  qui, quand on se focalise sur elle, nous fait oublier les dérives plus proches et ordinaires) : quand tout ce qui fait sens dans la vie est soudain ramené à la seule nation (contre les étrangers) ou à la race. »

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D’autant qu’en outre aujourd’hui, « …l’idée nationale ne crée qu’une identification faible (le plus souvent footballistique) glissant rapidement vers le racisme ou l’intolérance religieuse, ou un composé de « national-racisme » dans lequel le nationalisme en pensée couvre un racisme dans les faits : « Je me sens français, français menacé dans son identité, parce qu’il y a trop de Noirs et d’Arabes. » »

Le glissement du nationalisme vers le racisme est d’autant plus facile qu’il est « adossé à ce marqueur très simple qu’est la couleur de peau. »

 

roms mauditsEt d’évoquer la situation des Roms dans ce contexte : « … tout se passe comme s’il s’agissait d’un tour de chauffe, comme si l’on avait trouvé la population idéale pour roder un unanimisme populiste de rejet. Il faut bien comprendre aussi que cette opinion une fois établie, tous les dérapages peuvent être permis. »


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Car le phénomène identitaire ne doit rien à la raison.

Il est passionnel, affectif. C’est l’existence même de l’individu qui est en question, sa raison d’être. Un symbole dérisoire (par exemple le bonnet rouge) va rassembler et mettre en mouvement des foules disparates. Il est volatile : le même supporter de foot va passer d’un soutien à son club à un soutien à son pays,… puis éventuellement à une globalisation raciste en jetant des bananes.

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A noter que l’auteur ne condamne évidemment pas le phénomène identitaire. Nous y sommes tous soumis, même à ses dérives passionnelles. C’est lui qui nous pousse à l’action, nous invite à nous engager. C’est lui qui nous fournit la « plénitude existentielle » qui fait « nos petits bonheurs ».

Notre liberté est dans la capacité de pouvoir et vouloir disposer d’identités multiples, qui nous donneront en toute circonstance le recul nécessaire pour la préserver.

 

Après toutes ces analyses, quels conseils pour l’action ?indivis.jpg

Il faut avouer que les conseils pratiques semblent fragiles face à une évolution mondiale sur laquelle nous avons l’impression de ne pas pouvoir intervenir, et qui dérive vers une apocalypse clairement décrite. «Seule la raison critique peut combattre le désordre des passions meurtrières ». D’accord, mais on voit très bien combien cette raison a été plus souvent au service des passions qu’à leur contrôle, surtout dans l’action collective.

Il ne faut donc pas attendre de l’ouvrage des réponses « prêtes à l’emploi », mais des réflexions critiques pour éventuellement recadrer son action.

 

indigenesPersonnellement, à partir de ce texte, je voudrais d'abord répéter qu’il faut le lire, car sa richesse ne se résume pas, et ensuite faire trois remarques personnelles :

 

Chercher à « convaincre » celui qui est enfermé dans l’identité du vote FN me semble peu productif, puisque son adhésion n’est pas raisonnable, mais affective ; par contre, garder le contact, pour l’aider à sortir de cet enfermement, pourquoi pas…LOGO 4 assoc

 

Je vois que l’action militante vise souvent des populations ghettoïsées et estimées à risques, populations qu’il faudrait « éduquer ». Je remarque que l’angoisse culturelle et identitaire, la peur de l’avenir concernent également des classes moyennes pas nécessairement menacées économiquement.

 

ujfpEnfin et surtout ce fameux « retour du religieux ». Il n’est en rien un « retour » ; il n’est pas un résidu du passé ; il est une réponse actuelle aux problèmes posés par l’évolution du monde moderne. Réponse pas plus mauvaise qu’une autre tant qu’on ne s’enferme pas dans le fondamentalisme. Ceux qui veulent lutter contre le « retour du religieux » comme s’il s’agissait des brumes d’un obscurantisme moyenâgeux à dissiper se trompent de bataille.

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L’intégrisme identitaire, l’enfermement communautaire ne sont pas réservés à ceux que l’on a tendance à montrer du doigt. Les donneurs de leçons au nom de la « raison universelle » peuvent également en être victimes.cimade

 

Et l’antiracisme peut lui-aussi être pris dans ce piège identitaire :

- en se consacrant à la défense d’une seule identité menacée et en oubliant les autres,

- ou en agissant au nom d’un soi-disant universalisme intemporel dont on serait presque naturellement porteur et qu’il faudrait imposer tel quel à tous.

 

Un antiracisme réellement rassembleur reste à inventer. D’urgence, pour espérer lutter contre la catastrophe annoncée. Un défi qui doit nous donner envie d'agir.


 

Jacques Vénuleth

Publié dans LECTURES

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